Elle n’a pas de chapeau pointu ni de chat noir sur l’épaule, même si un félin la suit souvent du regard.
Son chaudron, c’est la casserole dans laquelle mijote une tisane de romarin.
Sous la lune d’octobre, elle allume une bougie, pose ses mains à plat sur la table et respire. Elle n’attend pas un miracle, elle revient au silence.
C’est là que commence la magie.
Depuis quelques années, les « sorcières » sont partout : sur les couvertures de magazines, dans les playlists Spotify, les séries Netflix et les boutiques ésotériques aux néons violets.
Halloween a recyclé le mythe à coups de citrouilles et de marketing, mais derrière l’image caricaturale se cache autre chose : une mémoire longue, brûlée, puis transmise de bouche en bouche.
Une femme libre qui écoute la terre, soigne avec des mots, et sait que la lumière se trouve souvent de l’autre côté du feu.
Brûlées pour avoir su
Elles s’appelaient Albine, Catherine, Ursule. Des femmes sans fortune, mais riches d’un savoir ancien.
On les consultait pour calmer les fièvres, apaiser les nourrissons, chasser la peur.
Puis l’Église a dit : danger.
Les bûchers ont fleuri comme des fleurs inversées.
Entre le XVe et le XVIIe siècle, près de 60 000 femmes furent exécutées pour sorcellerie en Europe.
Le crime ? Avoir écouté la forêt mieux que les prêtres.
Avoir soigné avec des plantes plutôt qu’avec des dogmes.
Avoir aimé la vie sans autorisation.
L’historien Jules Michelet écrivait en 1862 : « La sorcière, c’est la rebelle. »
Rebelle à la peur, rebelle à l’ordre, rebelle à la soumission.
Il faut relire ces mots avec douceur : la « sorcière » n’était pas une figure maléfique, mais la gardienne d’une science du lien.
Elle savait lire les signes dans le ciel, dans l’eau, dans les corps.
Ses outils : les herbes, les cycles lunaires, les songes.
Ses armes : la tendresse et la connaissance intuitive.
Et c’est justement ce mélange de puissance et de douceur qui fit trembler les puissants.
Car une femme connectée à sa propre intuition est, par nature, inclassable.
Mona Chollet, dans Sorcières, résume cette histoire d’une phrase limpide :
« Être une sorcière, c’est refuser d’avoir honte de sa puissance. »
Refuser de se cacher. Refuser de croire que le soin, la beauté et l’écoute sont des fragilités.
Leur feu ne s’est pas éteint. Il couve encore dans la mémoire collective, prêt à renaître chaque fois qu’une femme ose dire : je sens.
Les gestes anciens
Rien d’extraordinaire, en vérité.
Juste une main posée sur le cœur.
Un peu de sauge qui fume dans la cuisine.
Un cercle de sel sur le seuil quand l’air devient trop lourd.
Les vrais rituels sont des gestes du quotidien, faits avec conscience.
Ils parlent le langage de la matière.
La sauge purifie, le romarin protège, la lavande ouvre la paix, l’armoise appelle la clarté.
Chaque plante a son murmure, chaque lune sa fonction.
Les anciennes savaient que l’eau garde la mémoire : on y dépose des mots, une intention, parfois une larme.
On allume une bougie non pour conjurer le mal, mais pour rappeler la lumière.
La sorcellerie véritable n’est pas domination ; elle est coopération.
Elle ne transforme pas le monde, elle l’accompagne.
Sous la surface, ce sont toujours les mêmes symboles : le cercle pour l’unité, la coupe pour la réceptivité, le feu pour la transmutation.
Ces signes ont traversé les siècles parce qu’ils parlent à la biologie même de l’âme.
La science moderne parlerait de champs d’énergie, d’informations subtiles, de vibrations.
Les anciennes parlaient d’esprits, d’éléments, de souffle.
Deux langages pour décrire le même mystère.
« Tout est intriqué », dirait aujourd’hui la physique quantique.
Et c’est bien ce qu’elles savaient déjà : ce qui est en haut est comme ce qui est en bas.
Les tisseuses du réel
Elles sont de retour, mais sous d’autres noms : médiums, énergéticiennes, astrologues, naturopathes, créatrices d’oracles.
Elles travaillent à ciel ouvert, souvent derrière un écran, parfois en cabinet, toujours reliées à la même trame invisible.
Elles ne prétendent pas prédire, elles décryptent.
Elles ne manipulent pas, elles accordent.
Leur magie est vibratoire : elles recousent les fêlures entre l’âme et la matière.
Dans un monde saturé d’informations, ces voix intuitives rappellent que la vraie connaissance se mesure au silence qu’elle laisse après elle.
Une voyante, aujourd’hui, n’est plus une figure marginale : c’est une traductrice du sensible.
Elle capte ce que la raison ne perçoit pas encore.
Elle donne forme à l’invisible avec les mots qu’elle a.
Certaines appellent cela énergie, d’autres prière, d’autres amour.
Peu importe le vocabulaire : la fonction reste la même – soigner les liens.
C’est aussi cela, la loi d’Amra : donner et recevoir dans le même mouvement, comprendre que chaque flux spirituel circule entre les êtres comme un échange, jamais une dette.
Les sorcières ont été réduites au silence ; leurs descendantes parlent à nouveau, sous d’autres formes.
Kanditel s’inscrit dans cette lignée : un espace où la clairvoyance redevient une forme d’art, de beauté et de soin.
“Les vraies sorcières ne jettent pas de sorts, elles recousent le monde.”
Une phrase comme un mot de passe.
Pour dire : la magie n’a jamais disparu, elle a juste changé de peau.
Halloween et la mémoire de Samhain
Chaque 31 octobre, le monde occidental s’illumine de lanternes creusées et de maquillages noirs.
Halloween, fête commerciale, bruyante, presque grotesque, a oublié ses racines.
Mais derrière la mise en scène, le message originel persiste : c’est le moment où le voile entre les mondes s’amincit.
Les Celtes appelaient cela Samhain : la nuit où les vivants honorent les morts, où le cycle se ferme avant de renaître.
Rien d’effrayant, en réalité.
C’était une célébration du passage, du renouvellement, du dialogue avec l’invisible.
Autour du feu, on déposait des pommes, du pain, du miel, offrandes pour les âmes et promesses de fécondité.
Le feu symbolisait la continuité de la vie à travers la mort.
Et quand on se masquait, ce n’était pas pour effrayer, mais pour brouiller les frontières : les humains et les esprits se reconnaissaient à travers le jeu.
Aujourd’hui, les déguisements ont remplacé les symboles, mais l’intuition collective demeure : cette nuit parle d’autre chose.
Elle dit : « Souviens-toi que la fin n’existe pas. »
Même les citrouilles, creusées pour y glisser une bougie, rejouent à leur manière la loi d’Amra : la matière vidée se fait lumière.
L’appel de la Terre
Le retour des sorcières est aussi celui d’une conscience écologique.
Elles n’adorent pas la nature : elles se rappellent qu’elles en font partie.
Dans un monde qui exploite et déconnecte, leur parole devient acte politique.
Planter une graine, purifier son eau, parler à la lune, autant de gestes minuscules qui recréent le lien.
Vandana Shiva, physicienne et militante écologiste, dit :
« Les femmes qui soignent la terre soignent aussi la société. »
Et Starhawk, figure du néo-paganisme, ajoute :
« La magie, c’est l’art de changer la conscience à volonté. »
Changer la conscience, c’est peut-être cela : cesser de croire que l’humain est séparé de tout.
La Terre appelle ses enfants à la réconciliation – avec elle, avec eux-mêmes.
La sorcière moderne n’est plus une figure marginale : c’est celle qui ose aimer ce monde, même blessé.
Elle sait que chaque acte bienveillant, chaque pensée claire, chaque prière simple devient onde de réparation.
Recoudre le monde, c’est d’abord recoudre sa propre peau.
Le fil d’or
Elles étaient des milliers, anonymes, effacées, jugées folles.
Aujourd’hui, elles réapparaissent dans les visages de celles et ceux qui écoutent encore le battement du monde.
Elles écrivent, elles conseillent, elles guérissent, elles transmettent.
Elles savent que le vrai pouvoir n’est pas d’imposer, mais de relier.
Qu’une parole juste peut apaiser plus sûrement qu’un sortilège.
Et que l’amour reste la seule magie durable.
Alors quand la nuit d’Halloween s’installe, ne craignez pas les ombres.
Elles ne viennent pas hanter, elles viennent rappeler.
Allumez une bougie, posez votre main sur votre cœur, et dites simplement :
« Je rends grâce à celles qui ont gardé le feu. »
Car chaque fois qu’une flamme s’élève, quelque part,
une sorcière ancienne ou moderne recoud un morceau du monde.
Claudine Kanditel